Chapitre 6 : L’ombre de la dague

04/04/2025

Le ciel s'empourprait lorsque Aéfrie referma la porte de la caserne de Valbourg derrière elle. Les échos des derniers échanges avec le capitaine Arthol résonnaient encore dans son esprit : Selka aurait établi une planque près d'un petit village de pêcheurs, au bord du lac de Crystalmere. Une expédition de renforts devait les rejoindre au matin, mais la tâche d'exploration initiale incombait à Aéfrie et à Matias.

Elle s'arrêta quelques secondes sur le perron, observant la ville baignée par les reflets du couchant. Les silhouettes des toits se découpaient sur un ciel orange, et l'elfe sentit un léger pincement au cœur : la cité, malgré ses ruelles parfois sordides, avait commencé à lui devenir familière. De sombres menaces planaient, et elle était l'une des rares à pouvoir les affronter.

—« Tu es prête ? » demanda Matias en s'approchant, un sac sur l'épaule. Il portait une armure légère, plus adaptée au voyage, et gardait sa longue épée à la ceinture.

—« Oui. Arthol nous a laissé deux montures, nous devrions partir avant la nuit. »

Leur regard se croisa : Matias affichait un mélange de détermination et d'inquiétude. Aéfrie, de son côté, ne laissa transparaître qu'un léger sourire. Depuis qu'ils avaient vaincu la bête dans la forêt, puis découvert l'existence de l'Anneau de Fer, leur relation s'était renforcée, nourrie par les épreuves partagées.

—« Le capitaine prépare une petite équipe pour demain matin, » reprit le jeune soldat. « Mais nous devrons peut-être affronter seuls les premiers dangers. Arthol espère que nous ne ferons qu'explorer les lieux. »

—« J'espère aussi, » admit Aéfrie, ses yeux verts se posant sur la rue principale. « Mais tu sais comme moi que les plans changent vite. »

Elle se tourna vers l'écurie attenante à la caserne, où deux chevaux piaffaient déjà, sellés par un garde zélé. L'elfe effleura la robe brune de sa monture, le regard pensif. Depuis son arrivée à Valbourg, tout s'était accéléré : la découverte des spectres, la capture d'Ilyas, la prise d'assaut de la cache de l'Anneau au port… et à chaque fois, elle sentait la tension grimper. Selka incarnait à présent la figure la plus inquiétante de ce complot.

—« Allez, partons. Le soleil se couche, et j'aimerais arriver au village avant qu'il ne fasse trop sombre. »

Matias hocha la tête, un bref sourire aux lèvres. Ils enfourchèrent leurs chevaux et s'engagèrent dans la rue, saluant quelques gardes qui leur souhaitaient bonne route. Les passants s'écartaient devant eux, jetant parfois des regards curieux à l'elfe en cotte de mailles et au soldat déterminé.


Ils franchirent les portes de Valbourg alors que la lumière déclinait déjà. Les champs alentour se teintaient d'orangé, et un vent léger soulevait la poussière du chemin. Aéfrie sentit un frisson la parcourir : une part d'elle adorait ce moment du jour où la brume se levait parfois, laissant la nature reprendre ses droits.

—« Dis-moi, Aéfrie… tu as déjà voyagé près de ce lac ? » demanda Matias, brisant le silence.

—« Non, jamais. J'ai longtemps vécu dans la forêt, puis j'ai fait un passage rapide à Verge, avant d'être engagée comme mercenaire pour venir à Valbourg. »

Elle marqua une pause, se souvenant de ses forêts natales et des canopées verdoyantes du clan Calarii. Un léger sourire étira ses lèvres : elle avait quitté son foyer pour découvrir le monde et faire reculer le mal. Le destin l'avait menée ici, et elle n'avait aucun regret.

—« La région du lac de Crystalmere est plus tranquille, en général, » enchaîna-t-elle, « mais depuis que nous avons affaire à l'Anneau de Fer, je doute qu'on y trouve la paix. »

Matias acquiesça, l'air soucieux. Il pensait à Arthol et aux renforts promis. L'idée de partir en avant-poste l'angoissait un peu, mais il faisait confiance à Aéfrie. Depuis qu'ils avaient combattu la bête, il voyait en elle une guerrière chevronnée, capable de garder la tête froide en toutes circonstances.

—« J'espère seulement qu'on ne tombera pas sur un nid de morts-vivants comme au moulin… » murmura-t-il, serrant les rênes.

—« Je ferai tout pour l'éviter. Les spectres sont une menace que je ne prends pas à la légère. »

Leurs chevaux progressaient d'un pas sûr, le trot régulier résonnant dans le crépuscule. Au loin, les ombres des collines se dessinaient, et l'air se rafraîchissait à mesure qu'ils s'éloignaient de la ville.


Le crépuscule laissa place à une nuit étoilée. Les deux cavaliers avançaient sur une route de terre, parfois bordée de haies ou de bosquets. Matias, en tête, veillait à ce qu'ils ne s'égarent pas, consultant de temps à autre les indications qu'Arthol lui avait données.

—« On devrait bifurquer au prochain carrefour, puis descendre vers la rive du lac. Le village se trouve à une demi-lieue au sud-ouest. »

Aéfrie appréciait le silence nocturne, seulement troublé par le bruit des sabots et le chant lointain de quelques oiseaux nocturnes. Elle laissa ses pensées vagabonder, repensant aux événements récents. La dague noire qu'elle avait récupérée lors de la prise d'assaut de la zone de transit lui revenait en mémoire. Cette arme lui inspirait un mélange de fascination et de méfiance. Son métal sombre, presque mat, semblait parfois luire d'une aura sinistre.

Elle se demanda si elle devait la confier à un prêtre, ou la détruire. Mais une part d'elle — plus obscure — lui soufflait qu'elle pourrait s'avérer utile, voire nécessaire, contre les menaces à venir. Cette dualité la troublait.

—« Aéfrie, tout va bien ? » fit Matias en se retournant, percevant son silence prolongé.

—« Oui, ne t'inquiète pas. Je réfléchissais. » Elle marqua une brève pause. « À ce qui nous attend. »

Le soldat ne répondit pas, mais son regard trahissait une forme d'inquiétude. Depuis peu, il sentait chez l'elfe une tension qu'il n'expliquait pas. Peut-être était-ce simplement la fatigue, ou le poids des combats.

Après deux heures de chevauchée sous les étoiles, ils aperçurent enfin les premières lueurs d'un hameau de pêcheurs, niché près d'une anse du lac de Crystalmere. De petites maisons de bois, certaines sur pilotis, dessinaient un village modeste, où les barques dormaient à quai. Une légère brume flottait sur l'eau, renvoyant le clair de lune en mille reflets argentés.


Ils mirent pied à terre à l'écart, attachant leurs chevaux à un arbre pour ne pas alerter les habitants en pleine nuit. Aéfrie fit signe à Matias de baisser la voix :

—« Nous ne sommes pas là pour déranger ce village. Mieux vaut questionner discrètement au matin, si besoin. Pour l'instant, je veux repérer la planque de Selka. »

Le soldat hocha la tête, fatigué par la route mais prêt à suivre ses ordres. Il lui indiqua une petite auberge en bord de lac, où ils pourraient éventuellement loger. Pourtant, l'elfe refusa :

—« Nous devons d'abord trouver la baraque dont parlait Arthol. Elle serait à l'écart, hors des chemins. Si on se montre au village, les sbires de Selka risquent de se méfier. »

Ils contournèrent donc le hameau, longeant la rive, les pieds enfonçant parfois dans la boue. L'odeur d'algues et de poisson se mêlait à celle de la végétation humide. Au loin, quelques roseaux bruissaient dans le vent, et l'on entendait le cri d'un oiseau nocturne.

—« L'endroit est paisible… trop paisible, » murmura Matias. « J'ai du mal à croire qu'une mage maléfique se terre ici. »

—« La tranquillité est souvent une bonne couverture pour ce genre de personnes. »

Ils aperçurent alors une maison isolée, partiellement masquée par des arbres et des fourrés. La bâtisse, de bois et de pierre, ne paraissait pas abandonnée. De la fumée s'échappait d'une cheminée, et quelques lumières filtraient à travers des volets mal ajustés. Aéfrie se tapit derrière un bosquet, incitant Matias à en faire autant.

—« Ça doit être là. Deux gardes à l'entrée, et je crois en voir un troisième qui fait le tour. »

Effectivement, la silhouette d'un homme se dessinait contre la façade, tandis qu'un autre échangeait quelques mots près de la porte. Le troisième passait parfois dans le halo de lumière d'une lanterne suspendue.


Aéfrie se tourna vers Matias, murmurant :

—« Je veux éviter un affrontement direct. Toi, reste ici et surveille. Si tu entends du bruit ou si quelqu'un s'enfuit, interviens. Sinon, ne bouge pas. »

—« Mais… » commença-t-il, inquiet de la laisser seule.

—« Fais-moi confiance. C'est plus simple ainsi. »

Matias, bien que réticent, finit par hocher la tête. Il se posta derrière un arbre, son épée dégainée, prêt à bondir si la situation tournait mal. Aéfrie, elle, progressa silencieusement, s'approchant de la maison par l'arrière. Son agilité elfique lui permit d'éviter les craquements de branches et de repérer la troisième sentinelle qui faisait sa ronde.

Profitant d'un moment où le garde tournait le dos, elle se glissa jusqu'à une fenêtre entrouverte. Les battements de son cœur s'accélérèrent : elle savait que la moindre erreur pouvait la faire repérer. Doucement, elle écarta le volet, découvrant une pièce où brûlait une lampe à huile. Personne n'y était, mais elle entendait des voix plus loin.

Elle passa une jambe, puis l'autre, entrant dans la demeure. L'odeur de ragoût emplit ses narines. À sa gauche, un couloir menait à ce qui semblait être la salle principale. À pas de loup, elle s'y dirigea, repérant au sol des bottes et un manteau. Les voix se firent plus nettes :

—« Ça manque de sel… Pass-moi le pot, Gerd. »

—« T'es jamais content, toi. Allez, bois un coup. Selka paiera mieux si on garde la maison propre, tu verras. »

Ils étaient trois, assis autour d'une table, partageant un repas. Des assiettes en terre cuite, une cruche de vin… L'un d'eux se leva, la main sur son ventre, comme pour se resservir. Aéfrie se dissimula derrière un meuble, le cœur battant. Elle devait agir vite, avant qu'ils ne se dispersent.


Sans attendre, elle entama mentalement la formule d'un sort de Sommeil, traçant dans l'air les gestes requis. Une brume magique, invisible, se propagea vers les trois hommes, enveloppant leurs esprits fatigués. L'effet fut presque immédiat : ils vacillèrent, le premier s'affaissant sur la table, le second tombant à la renverse, et le troisième s'écroulant, la bouche ouverte dans un ronflement.

Aéfrie expira un léger soupir de soulagement. Elle s'approcha prudemment, veillant à ce qu'aucun ne simule. Les trois dormaient profondément. Elle récupéra un bout de corde dans un placard et entreprit de les attacher solidement, bâillonnant au passage celui qui paraissait le plus robuste.

—« Désolée, les gars, » murmura-t-elle, « mais je ne peux pas vous laisser sonner l'alerte. »

Elle jeta un coup d'œil à la porte d'entrée : apparemment, les gardes dehors n'avaient rien remarqué. De temps en temps, elle entendait un léger bruit de pas sur le perron, mais personne ne vint. Elle ramassa une lampe à huile pour mieux éclairer les recoins de la pièce. Son attention se porta sur une trappe dissimulée sous un tapis, non loin de la table.

—« Intéressant… » songea-t-elle, en retirant le tapis.

La trappe, faite de planches de bois, était verrouillée par un simple loquet. Aéfrie n'eut aucun mal à le soulever. Une odeur de cave, mêlée à un parfum de métal et de moisi, s'échappa.


La lampe à huile à la main, Aéfrie descendit l'échelle menant à la cave. Les parois étaient de pierre, suintant d'humidité, et un couloir étroit s'enfonçait sous la maison. Elle perçut un bruit de voix, plus sourd, à l'autre bout.

Doucement, elle éteignit la lampe, préférant s'en remettre à sa vision elfique dans la pénombre. Un coude du couloir la dissimulait à quiconque se trouvait plus loin. Elle s'avança, dague à la main, retenant son souffle.

Elle déboucha alors sur une petite salle, vaguement éclairée par une torche fixée au mur. Deux personnes s'y trouvaient : une femme armée d'une épée et un homme penché sur une malle, en train de ranger des objets dans des sacoches. La femme leva la tête, apercevant l'elfe. Son visage se durcit instantanément.

—« Qui… » commença-t-elle, mais Aéfrie ne lui laissa pas le temps de réagir.

Dans un réflexe mortel, l'elfe bondit, portant un coup rapide à la gorge de la gardienne. Un gémissement étranglé s'échappa de la femme, qui s'écroula sur le sol, le sang maculant sa tunique. L'homme, terrifié, recula en levant les mains.

—« Pitié ! Ne me tue pas ! » supplia-t-il, la voix tremblante.

Aéfrie, le souffle court, sentit une montée d'adrénaline. Elle tenait encore la dague ensanglantée, le cœur battant à tout rompre. Les récents combats et l'influence de cette lame sinistre semblaient attiser en elle une froide détermination.

—« Parle, » lança-t-elle, la lame pointée vers le torse de l'homme. « Qui es-tu ? Où est Selka ? »

L'homme déglutit, essayant de garder son calme :

—« Je… je m'appelle Torgan. Je… je devais convoyer des marchandises pour Selka. Elle n'est pas là ! Elle a laissé ce poste sous ma surveillance, c'est tout ! »


Aéfrie remarqua alors, à côté de la malle, plusieurs fioles contenant un liquide sombre. Elle en saisit une, l'observant à la lueur vacillante de la torche. Torgan, l'air affolé, fit un geste pour l'en empêcher, mais elle le repoussa d'un coup d'épaule.

—« C'est quoi ? » demanda-t-elle, l'odeur âcre lui piquant les narines.

—« Un produit… un breuvage que Selka a créé. Ça… ça donne une rage meurtrière à ceux qui le boivent, mais c'est instable, dangereux. »

Le regard d'Aéfrie s'assombrit. Elle pensait déjà à l'usage que l'Anneau de Fer pouvait en faire, créant des combattants fanatiques. Sans plus réfléchir, elle déboucha la fiole et en renversa le contenu sur le sol. Une odeur nauséabonde s'en dégagea, faisant reculer Torgan.

—« Non ! C'est trop… » s'écria-t-il, les yeux écarquillés.

À cet instant, un déclic se fit entendre, comme un mécanisme se mettant en marche. Une alarme magique s'activa, libérant un bref halo rougeâtre sur le mur. Torgan pâlit, comprenant que Selka avait piégé le produit pour déclencher un signal en cas de sabotage.

—« Qu'as-tu fait ! Ils vont rappliquer ! »


Un vacarme de pas résonna dans le couloir. Trois hommes, visiblement alertés, déboulèrent dans la salle, armes au clair. Aéfrie se mit en garde, brandissant sa dague, tandis que Torgan, affolé, regardait autour de lui en quête d'une arme.

—« Vous venez me tuer ? J'ai connu pire, » lâcha l'elfe d'une voix froide.

Le premier attaquant, un colosse chauve, abattit sa hache en direction d'Aéfrie. Elle esquiva de justesse, ripostant d'un coup au flanc. Le second, plus rapide, tenta de la prendre à revers, mais la dague noire para son coup avec un crissement sinistre. Torgan, profitant de la confusion, s'empara d'une épée abandonnée près de la malle et se jeta dans la mêlée, poussant un cri à mi-chemin entre la terreur et la rage.

—« Tue-les ! Ou meurs avec eux ! » lança Aéfrie, la voix chargée d'une détermination presque inhumaine.

Les adversaires frappaient sans relâche, et la petite pièce résonnait des chocs métalliques. L'elfe esquivait, pivotait, la dague noire semblant vibrer d'un pouvoir malsain. Elle planta la lame dans le bras du colosse, qui hurla, tombant à genoux. Le second assaillant se retourna pour frapper Torgan, mais celui-ci, malgré sa peur, parvint à le toucher à la gorge, le sang giclant sur le sol.

Le troisième, plus prudent, recula, cherchant une faille. Aéfrie s'avança, la dague encore poisseuse de sang, le regard fiévreux :

—« Rends-toi, ou rejoins tes camarades. »

L'homme, terrorisé, voulut fuir, mais Torgan lui barra la route. Dans un élan, Aéfrie l'acheva d'un coup net au thorax, avant qu'il ne puisse appeler d'autres renforts. Un silence de mort retomba alors, seulement troublé par les râles d'agonie du colosse au sol. Elle lui asséna le coup final, d'un geste sec.


Le souffle court, Aéfrie s'essuya le front, son esprit en ébullition. Jamais elle ne s'était sentie aussi… exaltée. Chaque combat la rapprochait d'une froide colère, d'une violence qu'elle peinait à canaliser. La dague noire, dans sa main, semblait pulser comme un cœur sombre.

Torgan, haletant, la regarda avec un mélange d'effroi et de soulagement. Il la remercia d'un signe de tête pour lui avoir permis de s'armer, mais il demeurait sur ses gardes. L'elfe soutint son regard, impassible.

—« Si tu m'avais menti, je t'aurais tué, » lança-t-elle d'un ton glacial, ses yeux reflétant l'ombre d'une détermination presque malsaine.

—« Je… je comprends, » balbutia Torgan, relevant l'épée. « Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? Je suis fichu, si la garde me met la main dessus… »

Aéfrie se redressa, fixant la lame noire comme si elle y cherchait une réponse. Elle sentait un frisson courir le long de son bras, une tentation de continuer à se battre, à user de la peur pour soumettre ceux qui se dresseraient sur sa route.

—« Tu vas me suivre, Torgan, » déclara-t-elle d'une voix ferme. « Si tu me sers loyalement, je t'épargnerai. Sinon, je te tuerai de mes mains. »

Le ton était sans appel. Torgan, désemparé, comprit qu'il n'avait pas d'autre choix. Mieux valait suivre cette elfe dangereuse que finir pendu ou traqué par l'Anneau de Fer.

—« D'accord… Je te suivrai, » souffla-t-il, baissant la tête.

Aéfrie acquiesça, rangeant la dague à sa ceinture. Elle prit alors conscience qu'elle avait perdu toute notion du temps et des codes qu'elle s'était imposés autrefois. La soif de vaincre, la haine de l'Anneau de Fer et cette lame corruptrice l'entraînaient sur un chemin glissant.


Lorsque Aéfrie et Torgan atteignirent l'extrémité de la cave, ils découvrirent un tunnel creusé à même la roche. L'air y était plus frais, signe qu'il s'enfonçait plus profondément sous terre ou s'ouvrait plus loin, peut-être en direction du lac. Une légère torche, fixée au mur par un support métallique, vacillait, projetant des ombres dansantes sur la pierre.

Torgan, encore sous le choc du combat, passa une main tremblante sur son front. Il jeta un regard à la dague noire qu'Aéfrie tenait encore, maculée de sang séché. Son expression reflétait un mélange de crainte et d'admiration pour l'elfe, dont l'attitude lui paraissait tantôt protectrice, tantôt presque… maléfique.

—« Tu disais que Selka n'est pas ici, » reprit Aéfrie, la voix posée mais le regard brûlant d'adrénaline. « Alors à quoi sert ce tunnel ? »

—« Je… je ne suis jamais allé plus loin, » avoua Torgan, baissant les yeux. « Selka a un réseau de galeries. Certains y fabriquent des… des armures spéciales, ou je ne sais quoi. On m'a juste ordonné de garder la maison. »

Il se tut, fixant la lame noire. Aéfrie, les sens encore en alerte, détailla les parois rugueuses du tunnel. Une odeur métallique flottait dans l'air, comme si du fer ou de l'acier était forgé quelque part en aval.

—« Tu penses qu'il y a beaucoup de monde ? » demanda-t-elle, la main crispée sur le manche de la dague.

—« Six, huit personnes, peut-être plus… Je sais qu'il y a un coin avec des forges. Et ils… ils font venir des esclaves pour les travaux, je crois. »

Un éclair de colère traversa le regard d'Aéfrie. L'Anneau de Fer et ses pratiques abjectes la révulsaient. Ses doigts effleurèrent le pommeau de la dague, et elle sentit un frisson la parcourir, comme si l'arme l'encourageait à plonger plus avant dans la violence. Elle inspira profondément, cherchant à calmer son esprit.

—« On y va, » trancha-t-elle. « Je veux voir ce qu'ils préparent. »

Torgan, un instant décontenancé, esquissa un mouvement de recul. La lueur déterminée dans les yeux de l'elfe l'impressionnait.

—« Mais… et la garde ? Tu n'attends pas tes alliés ? »

—« Pas question. Le temps presse. Si Selka est absente, on peut peut-être saboter ses plans avant qu'elle ne revienne. Et si elle est là, je veux l'affronter. »

Elle repéra l'arbalète qu'un des assaillants avait laissée près d'une caisse. Elle s'en empara, vérifia rapidement la corde, puis la tendit à Torgan.

—« Prends ça. Si tu veux survivre, couvre-moi. »

Le ton n'appelait pas la discussion. Torgan, serrant la mâchoire, hocha la tête et saisit l'arme. Au fond de lui, la peur le tenaillait : la peur de trahir l'elfe et de mourir sur-le-champ, la peur de la garde s'il se rendait, et la peur de Selka et de ses sbires. Sans autre échappatoire, il suivit Aéfrie dans le tunnel plongé dans la pénombre, conscient que sa vie dépendait désormais de cette étrange guerrière à la lame maudite.

Ainsi se conclut la longue nuit dans la demeure isolée, tandis qu'Aéfrie, guidée par l'adrénaline et l'ombre d'un pouvoir corrupteur, s'aventurait toujours plus loin dans les ténèbres de l'Anneau de Fer.

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