Chapitre 7 : L’offrande de Sang

11/04/2025

Les parois du tunnel semblaient se resserrer à mesure qu'ils avançaient. Aéfrie sentait la moiteur de la roche sous ses doigts, et la dague noire battait contre sa hanche à chaque pas, comme un rappel constant de la violence récente. Torgan, derrière elle, tenait l'arbalète serrée contre sa poitrine, jetant de fréquents coups d'œil en arrière, craignant de voir surgir d'autres sbires.

Au bout de quelques minutes, la lueur vacillante d'une torche apparut, projetant un halo tremblant sur les murs. Les voix lointaines de plusieurs individus parvenaient jusqu'à eux, couvertes par le bruit métallique de caisses qu'on déplaçait ou de fers qu'on empilait.

Aéfrie, le cœur battant, fit signe à Torgan de ralentir. Elle glissa le long de la paroi et jeta un coup d'œil dans la grande salle qui s'ouvrait devant eux. Une table en bois, encombrée de parchemins, trônait au centre, et une lanterne pendait à une poutre pour éclairer la pièce.

Un homme était assis là, en pleine écriture, un coffre ouvert à ses côtés, rempli de documents. Un guerrier massif, armé d'une masse, montait la garde près d'une porte à l'opposé, les bras croisés. Plus loin, dans l'ombre, un individu silencieux observait la scène. Aéfrie ne l'aperçut pas immédiatement, mais Torgan l'aperçut : un mage, enveloppé dans une robe sombre, le visage à demi masqué par la pénombre.

—« C'est Aylis, je crois… » chuchota Torgan, la voix tendue. « Un des mages de l'Anneau. Il bosse parfois avec Selka. »

—« Je m'occupe du comptable, tu neutralises l'autre si tu peux, » répliqua l'elfe, ignorant encore la présence du mage.

Torgan déglutit, conscient que le guerrier à la masse faisait deux fois son gabarit. Mais l'assurance d'Aéfrie, presque glaciale, ne laissait pas place au doute. Il se positionna pour viser l'imposant garde, tandis que l'elfe avançait à pas feutrés.


Aéfrie bondit de l'ombre, la dague noire brandie. Le comptable, absorbé dans ses chiffres, n'eut pas le temps de réagir : la lame s'enfonça dans son cou, tranchant net sa trachée. Il s'affaissa dans un gargouillis, renversant la boîte de documents. Un frisson parcourut l'elfe, à la fois de triomphe et d'horreur. Le sang gicla sur sa main, et la dague sembla vibrer, comme avide de cette offrande.

Le guerrier poussa un cri d'alerte, levant sa masse pour charger Aéfrie. Torgan, comme convenu, pressa la détente de son arbalète. Le carreau siffla dans l'air, mais l'homme pivota, et le projectile se ficha dans son épaule plutôt que dans son cœur. Il gronda de douleur, se jetant sur l'elfe malgré tout.

—« Mauvais choix… » siffla-t-elle, lâchant la dague pour dégainer son épée.

À ce moment, une lumière violacée jaillit du coin obscur de la salle : Aylis, le mage, venait de lancer un rayon d'énergie négative. L'éclair frappa Aéfrie à la hanche, la faisant reculer d'un pas. Une sensation à la fois glacée et brûlante traversa son corps, lui arrachant un cri. Son regard se posa alors sur la dague noire, gisant au sol, à quelques mètres d'elle. Sans réfléchir, elle tendit le bras et projeta un sort de Lumière minimal pour aveugler le mage.

Aylis, surpris par cet éblouissement soudain, laissa échapper un juron. Torgan profita de l'instant pour recharger hâtivement l'arbalète, la peur le rendant maladroit. De son côté, le guerrier frappa Aéfrie d'un coup de masse qu'elle para de justesse avec son épée, le choc résonnant dans ses bras.


La colère brûlait en Aéfrie, alimentée par la souffrance de la blessure magique. Elle repéra la dague noire au sol, non loin de ses pieds, et un éclair de détermination passa dans ses yeux. Alors que le guerrier tentait un second coup, elle feinta sur la droite, récupéra la dague dans un mouvement fluide et la lança vers le mage, qui tentait de se ressaisir de l'aveuglement.

La lame fusa en un trait sombre, traversant la distance dans un sifflement funeste. Aylis, encore ébloui, ne vit pas l'arme arriver ; elle se planta dans son flanc avec un bruit sourd. Un hurlement de douleur jaillit de ses lèvres, et il lâcha son bâton, s'effondrant contre le mur, le sang s'écoulant de la plaie.

—« Bien joué ! » s'exclama Torgan, soulagé, malgré la peur.

Le guerrier, toutefois, n'était pas vaincu. Il profita de la diversion pour frapper Aéfrie d'un coup horizontal, l'envoyant rouler sur plusieurs pas. Elle grimaça en sentant l'impact lui couper brièvement le souffle. Reprenant son équilibre, elle brandit son épée longue, décidée à en finir.


Aéfrie et le colosse échangèrent plusieurs coups. Les muscles du guerrier saignaient à cause du carreau fiché dans son épaule, mais sa rage le maintenait debout. L'elfe, malgré la douleur de l'attaque magique et le coup déjà reçu, conservait sa rapidité naturelle et son sang-froid.

Ils tournèrent autour de la table renversée, le cadavre du comptable gisant dans une mare de sang. Torgan, ayant rechargé, attendait une ouverture pour tirer, mais la crainte de toucher Aéfrie le paralysait. Il se contentait de viser, cherchant l'instant propice.

Le colosse abattit sa masse, brisant un coin de la table, et Aéfrie en profita pour se glisser sous son bras, assénant un coup à la cuisse. Il rugit, trébucha, et elle enchaîna d'un revers au flanc, le forçant à lâcher sa masse. Enfin, dans un geste implacable, elle lui porta un coup fatal à la gorge. Le guerrier s'affaissa, le visage figé dans un rictus de douleur.

Le combat prit fin dans un silence lourd. Seul le halètement d'Aéfrie et de Torgan résonnait, tandis qu'Aylis, gémissant, se vidait de son sang au sol.


Aéfrie se précipita vers le mage blessé. Elle arracha la dague noire de son flanc, lui arrachant un hurlement déchirant, et le repoussa contre le mur d'un geste brutal. Son regard était empreint d'une rage froide, presque inhumaine.

—« Qui es-tu ? Tu sers Selka ? » siffla-t-elle, la lame encore dégoulinante de sang.

Aylis, haletant, grimaça de douleur :

—« Tu… paieras… je… je ne sers que l'Anneau de Fer… Selka… n'est qu'une… intermédiaire… »

Torgan, qui se remettait de ses émotions, approcha, cherchant à aider l'elfe. Aéfrie jeta un bref coup d'œil à ses bras ensanglantés. Elle sentait son cœur battre la chamade, la dague noire serrée dans sa main, comme si elle refusait de la lâcher.

—« Attache-le, » ordonna-t-elle, reprenant son souffle. « S'il tente un sort, je l'achève. »

Aylis, trop faible pour résister, se laissa ligoter par Torgan, qui le bâillonna pour l'empêcher de prononcer la moindre incantation. Le mage, le regard empli de haine, se débattit faiblement, la plaie à son flanc continuant de saigner.

—« On en fait quoi, maintenant ? » demanda Torgan, relevant les yeux vers Aéfrie.

—« On le garde en vie. Il nous dira ce qu'il sait sur Selka… ou il mourra. »

Elle s'écarta, laissant Torgan traîner le corps gémissant d'Aylis contre un mur. Dans la pièce, le sang et les corps jonchaient le sol, l'odeur de fer emplissant l'air. Aéfrie sentait un étrange frisson la parcourir, un mélange de satisfaction morbide et de répulsion. La dague semblait alourdie, comme si elle absorbait l'énergie de ses victimes.


Après avoir fouillé rapidement la salle, Aéfrie et Torgan continuèrent leur exploration. Un couloir menait à une salle plus vaste, d'où provenait un cliquetis métallique et une chaleur étouffante. À mesure qu'ils avançaient, l'air se chargeait de fumée et de l'odeur du métal chauffé.

Ils débouchèrent sur une forge improvisée: un foyer ardent, des enclumes, des plaques de métal, et plusieurs individus s'affairant autour des braises. Au centre, un forgeron massif, au tablier de cuir, levait un marteau. Deux autres hommes, dont l'un plutôt frêle, l'aidaient à manipuler les pièces. Un troisième, plus en retrait, feuilletait un parchemin, l'air concentré.

À la vue d'Aéfrie et Torgan, la surprise se peignit sur leurs visages. La guerrière prit les devants, levant la dague noire encore maculée de sang, son regard dur et impérieux :

—« Selka a trahi Ilyas. Je la remplace désormais. Tous ceux qui ne m'obéissent pas finissent comme les neuf qui ont tenté de me résister. »

Sa voix claqua dans l'air. Torgan, derrière elle, tenait l'arbalète en joue, cherchant à dissimuler son propre trouble. Les forgerons et leurs assistants échangèrent des regards effarés. Garth, le plus imposant, s'avança, serrant encore son marteau :

—« Qui es-tu, toi ? Où est Selka ? »

—« Selka a signé son arrêt de mort. Moi, je viens prendre la suite. Vous obéissez ou vous mourez. »

Il y eut un flottement. Alven, l'homme frêle qui manipulait un sac de poudre, se décida à lever les mains :

—« D'accord… je… nous te suivrons, si tu nous laisses en vie. »

Le forgeron Garth, malgré sa carrure, baissa lentement son marteau, captant l'éclat meurtrier dans les yeux de l'elfe. Il hocha la tête à contrecœur :

—« D'accord. On obéit. Pas de vagues. »

Seul un troisième, Damir, demeura silencieux, fixant Aéfrie d'un air à la fois inquiet et incrédule. Il ne prononça aucun mot, les sourcils froncés comme s'il jugeait la situation absurde. L'elfe, le voyant récalcitrant, s'approcha, saisit sa main et, d'un geste sec, lui entailla la peau avec la dague noire.

—« Tu ne te soumets pas ? Veux-tu rejoindre tes anciens compagnons. »

Damir poussa un cri étouffé, le sang giclant entre ses doigts. Aéfrie, le regard froid, laissa la dague s'égoutter sur le sol. Un frisson parcourut l'assistance : chacun réalisa que la violence de l'elfe ne se limitait pas à de simples menaces. Aéfrie de son côté était à la fois mortifié par ce geste de pure cruauté, et un étrange sentiment de plaisir morbide qui en résultait.

Se tenant la main l'homme se pencha en avant, et répondit d'une voix tremblante

—« J'obéirai, j'obéirai... »


Torgan veillait à ce que personne ne tente de fuir. Aéfrie, elle, essuya vaguement la lame sur un chiffon avant de la rengainer, s'adressant à Garth, le forgeron :

—« Tu sembles être le plus compétent ici. Quel est l'usage de ces plaques ? Qu'est-ce que Selka vous fait fabriquer ? »

Garth, tremblant encore, montra un tas de plaques métalliques gravées de runes :

—« On… on nous a ordonné de forger ces pièces selon des plans fournis par Selka. Elles doivent canaliser… je ne sais quelle énergie. J'suis pas mage, moi. »

Aéfrie plissa les yeux, repensant aux plaques qu'elle avait déjà vues dans la cache du port. Elle fit un signe vers Alven, qui paraissait plus loquace :

—« Et toi ? Tu es son assistant ? »

—« J'aide à la logistique… Selka veut ces plaques pour un rituel. Ils en ont besoin pour éveiller… quelque chose. »

Un silence pesant suivit. Damir, toujours blessé à la main, gardait la tête basse. L'elfe se tourna vers lui, un éclat de menace dans le regard :

—« Et toi, tu vas aussi te taire ? »

L'homme, la voix tremblante, finit par murmurer :

—« Il y a un danger plus loin… un worg… un gardien. Il est dressé pour tuer tout intrus. Selka l'a fait nourrir avec… des choses. »

Aéfrie haussa un sourcil, entre curiosité et dégoût. Elle hocha la tête, notant l'information. Puis, levant la dague, elle désigna la porte qui s'enfonçait plus loin dans les ténèbres du tunnel et pointant Alven :

—« Très bien, toi tu nous accompagne. Vous deux restez ici. Si vous bougez, je vous retrouve et je vous égorge comme des porcelets. »

Garth et Alven le visage blême, acquiescèrent. Damir, lui, serrait encore sa main ensanglantée, le regard empli d'une haine résignée.


Aéfrie quitta la forge, Torgan et Alven sur ses talons. Le couloir, de nouveau, serpentait sur une cinquantaine de mètres. L'elfe progressait d'un pas ferme, la rage grondant encore en elle. Son esprit oscillait entre la satisfaction d'avoir soumis ces gens et un malaise face à sa propre cruauté.

Après quelques minutes, ils parvinrent à une grande salle où la roche s'ouvrait sur un espace plus large. Une odeur âcre, mélange de poils et de viande avariée, s'y répandait. Dans la pénombre, un worg colossal, au pelage sombre et luisant, se tenait sur ses pattes, reniflant l'air avec méfiance.

Torgan étouffa un juron. Le worg gronda, retroussant ses babines pour montrer des crocs jaunes. Aéfrie, sentant la tension, porta la main à sa ceinture et sortit un médaillon qu'elle avait pris sur Ilyas lors de sa capture. Elle l'avait gardé par curiosité, percevant une légère aura magique.

—« Calme-toi… » murmura-t-elle, comme si elle s'adressait à l'animal.

À sa grande surprise, le worg recula légèrement, hésitant. Peut-être sentait-il la marque de l'Anneau de Fer dans ce médaillon ; ou peut-être la présence maléfique de la dague noire. Quoi qu'il en soit, la bête ne bondit pas, se contentant de gronder sourdement, les yeux fixés sur l'elfe.

Aéfrie avança d'un pas, brandissant le médaillon :

—« Tu me laisses passer, ou je te tue. »

Le worg retroussa encore les babines, mais il ne bougea pas. Torgan, tremblant, se prépara à tirer si la créature attaquait. Finalement, le loup monstrueux se coucha lentement, comme forcé par une volonté supérieure, ou tout au moins intimidé par l'aura maléfique que dégageait l'elfe.

—« Bien. On continue, » déclara Aéfrie, rangeant le médaillon.


Une porte se dessinait au fond de la salle, taillée dans la roche, flanquée de symboles gravés. Alven avait parlé d'un grand danger plus loin, et Torgan se rappelait vaguement les rumeurs sur une « salle de cérémonies » où Selka opérait ses rituels.

—« C'est sûrement là… où ils conduisent les esclaves, » murmura Torgan, la voix emplie de crainte. « Selka doit être derrière cette porte, ou pas loin. »

Aéfrie, l'adrénaline pulsant encore dans ses veines, sentit une excitation malsaine la gagner. L'idée de se confronter à la mage la grisait, presque autant qu'elle l'angoissait. Elle serra le manche de son épée, la dague noire battant contre sa cuisse, et fit signe à Torgan de la suivre.

Ils s'approchèrent prudemment de la porte, entendant des bruits de voix étouffées. Une lueur rougeâtre filtrait par l'interstice, comme si des torches ou des bougies ensanglantées y brûlaient. L'odeur, un mélange d'encens et de métal chauffé, leur parvint, évoquant un rituel macabre.

Aéfrie, déterminée, se prépara mentalement au combat. Elle n'avait plus de renforts, sinon ce Torgan dont la loyauté n'était pas garantie. Mais elle ne pouvait reculer. Selka était au cœur de ce complot, et il fallait frapper vite et fort.

—« Prêt ? » chuchota-t-elle, ses yeux verts brillant d'une férocité presque inhumaine.

Torgan déglutit, levant son arbalète, tandis que la silhouette du worg se dessina derrière eux, gardant ses distances mais ne les attaquant pas. Les pas d'Aéfrie s'arrêtèrent devant la porte, et elle posa la main sur le battant, s'apprêtant à l'ouvrir.

Au fond d'elle, un voile sombre s'agitait, alimenté par la soif de violence de la dague noire et la volonté farouche de sauver Valbourg du chaos. Elle ignorait encore que ce combat l'entraînerait plus loin qu'elle ne l'aurait cru, au bord d'une corruption insidieuse.

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