Chapitre 5 : La zone de transit

28/03/2025

Les premières lueurs de l'aube effleuraient les toits de Valbourg lorsqu'Aéfrie et Matias et quelques gardes pénétrèrent de nouveau dans le quartier du Marais. Les ruelles étroites y étaient encore plongées dans une semi-pénombre, et l'humidité ambiante rendait les pavés glissants. Les maisons de bois, aux façades mal entretenues, semblaient s'affaisser les unes contre les autres, formant un dédale où régnait un silence oppressant. C'était ici qu'Aéfrie avait recueilli, quelques jours plus tôt, des rumeurs faisant état d'une cache de l'Anneau de Fer dans un entrepôt abandonné.

—« Ce coin-là pue toujours autant, » grogna Matias, l'air renfrogné, en désignant une flaque d'eau croupie.

—« Les affaires louches y prolifèrent, » répliqua l'elfe d'une voix calme, les yeux scrutant la moindre ombre. « Reste sur tes gardes. »

Ils s'arrêtèrent devant un bâtiment miteux, jadis un bar mal famé, à l'enseigne illisible. Selon des informations glanées auprès de quelques habitués de la taverne de Willington, le patron du lieu, Brogan, aurait eu des liens avec l'Anneau de Fer. Peut-être en saurait-il plus sur l'emplacement précis de la cache. Aéfrie poussa la porte vermoulue, et un grincement sinistre résonna dans la pièce.

À l'intérieur, la lumière du jour peinait à entrer. Un comptoir poussiéreux et quelques tables branlantes occupaient l'espace. Brogan, un homme trapu à la barbe hirsute, leva un regard craintif à la vue de Matias en uniforme de la garde. L'expression sur son visage passa de l'hostilité à la résignation lorsqu'il reconnut Aéfrie, déjà vue dans le Marais.

—« Que… qu'est-ce que vous voulez ? Je ne fais plus affaire avec personne, » grommela-t-il, mal assuré.

Aéfrie s'avança, sa silhouette elfique se dessinant dans la pénombre, et posa un doigt sur le comptoir. Matias se plaça à ses côtés, le visage fermé.

—« Nous savons que tu as des contacts avec l'Anneau de Fer, Brogan. Dis-nous où se trouve leur cache. »

—« Je… je ne vois pas de quoi tu parles… » bafouilla-t-il, détournant le regard.

Aéfrie croisa les bras, adoptant un ton plus tranchant :

—« Tu préfères que la garde fouille ton établissement ? Ou qu'on te jette au cachot ? Parle, ou ce sera pire pour toi. »

Un silence pesant tomba. Le patron avala sa salive, puis lâcha, d'une voix brisée :

—« Très bien. Ils ont… une planque dans un sous-sol près des anciens docks, vers l'entrepôt 14. Je… je ne voulais pas d'ennuis, tu comprends ? Ils m'ont menacé. »

Matias esquissa un sourire ironique, hochant la tête. Aéfrie, elle, se contenta de hausser un sourcil, avant de remercier sèchement Brogan et de faire signe au soldat de quitter les lieux. Ils tenaient enfin une piste concrète.


Les quais de Valbourg étaient plus animés que le Marais, même tôt le matin. Des marins déchargeaient des caisses, des dockers discutaient à voix basse, et l'odeur de poisson flottait dans l'air. Aéfrie et Matias restèrent à l'écart de la foule, longeant les entrepôts alignés le long de l'eau. Les numéros peints sur les murs défilaient : 10, 11, 12… Ils s'arrêtèrent devant le numéro 14, un bâtiment de pierre aux portes massives et à l'aspect déserté.

—« On dirait que plus personne ne l'utilise depuis un moment, » remarqua Matias en effleurant la poussière accumulée sur la porte. « Ou alors, c'est un décor soigneusement entretenu pour masquer leurs allées et venues. »

Aéfrie inclina la tête, concentrée. Elle avait déjà rencontré ce genre de faux entrepôts, où l'Anneau de Fer dissimulait ses marchandises illicites. Elle s'agenouilla et observa le sol : des empreintes de bottes se devinaient dans la fine couche de poussière, menant vers une porte latérale.

—« Si c'est une cache, ils ont peut-être laissé des gardes. Je propose qu'on procède avec discrétion. »

Le soldat approuva, puis suggéra qu'il se tienne prêt à l'extérieur pour intercepter quiconque voudrait fuir. Aéfrie hocha la tête, glissant sa dague à portée et gardant son arc en bandoulière. Elle était douée pour l'infiltration, et Matias serait plus utile pour contenir les fuyards.

—« Fais attention, Aéfrie, » murmura-t-il, les sourcils froncés. « Je ne veux pas qu'il t'arrive la même chose qu'à ce pauvre soldat attaqué par les spectres. »

L'elfe lui adressa un sourire rassurant :

—« Ne t'en fais pas. Je préfère mille fois une poignée de bandits aux morts-vivants. »

Elle s'éclipsa alors le long du mur, silencieuse comme une ombre, et disparut dans la ruelle attenante.


La porte latérale n'était pas fermée à clé ; un signe qu'on se croyait à l'abri des regards. À l'intérieur, l'entrepôt s'ouvrait sur une grande salle au sol poussiéreux, où s'entassaient des caisses à moitié ouvertes, des tonneaux éventrés et des sacs de jute. Aéfrie entendit des voix étouffées provenant du fond, derrière une cloison improvisée. Elle s'approcha, l'oreille tendue.

—« …Selka veut ces caisses livrées demain soir. Si les Ombres nous tombent dessus avant, on est morts. »

—« Je t'ai dit qu'il est encore dans ce fichu moulin… Mais on ne peut pas y retourner sans se faire repérer… »

Deux hommes discutaient, ignorant la présence de l'elfe. Elle se pencha légèrement, apercevant l'un d'eux, un colosse rasé, et l'autre, plus maigre, tenant un carnet de notes. Ils semblaient nerveux. Un mot retint l'attention d'Aéfrie : Selka. Elle confirmait ainsi que la mage de l'Anneau de Fer était bien impliquée dans ces livraisons.

—« Et Ilyas ? Il s'est fait choper ou quoi ? » demanda le maigre.

—« S'il parle, il signe son arrêt de mort. Pas notre problème. Prépare l'embarquement. »

Aéfrie sourit intérieurement. Ilyas, capturé, n'était donc pas leur seul atout. Elle attendit que les deux hommes s'éloignent vers l'arrière de l'entrepôt, puis glissa parmi les caisses, s'aventurant plus loin. Elle remarqua un passage dérobé menant à un sous-sol, peut-être le vrai cœur de la cache.


Tandis qu'elle contournait un tas de sacs, Aéfrie tomba nez à nez avec un garde en faction. L'homme ouvrit de grands yeux, surpris, et s'apprêtait à donner l'alerte. L'elfe réagit d'instinct : elle incanta mentalement un sort de Sommeil. Ses doigts tracèrent dans l'air un bref geste ésotérique, et une onde invisible se propagea vers le garde, dont le visage se vida de toute expression avant qu'il ne s'écroule sur le sol, profondément endormi.

—« Désolée, » murmura-t-elle en replaçant une mèche argentée derrière son oreille. « Mais c'était plus sûr ainsi. »

Derrière elle, un autre garde surgit, alerté par le bruit de la chute. Aéfrie n'eut pas le temps de lancer un second sort ; elle se jeta à couvert derrière un tonneau, puis surgit pour asséner un coup de dague. L'homme esquiva partiellement, hurlant de douleur lorsqu'elle lui entailla le bras. Voyant qu'il perdait du sang, il lâcha son arme et leva les mains en signe de reddition.

—« Je… me rends ! Pitié ! » gémit-il, la main sur sa plaie.

L'elfe, impassible, brandit sa lame, prête à frapper s'il tentait quoi que ce soit.

—« Où est votre chef ? » exigea-t-elle, d'une voix froide.

—« Au fond… dans la salle… il prépare les documents… » bredouilla l'homme, le visage blême.

Aéfrie acquiesça, un mince sourire aux lèvres :

—« Bonne réponse. Reste ici et ne bouge pas. Ou je termine le travail. »

Le garde, terrifié, ne broncha pas.


Guidée par les bruits d'échanges vifs, Aéfrie s'approcha d'une pièce secrète à l'arrière de l'entrepôt, masquée par des planches mal fixées. Elle entendit la voix autoritaire d'un individu qui semblait diriger les opérations.

—« Tu crois que je plaisante ? Si Selka apprend qu'on traîne, on est perdu. Dépêche-toi de charger ces runes sur le bateau. »

—« Mais on a perdu contact avec Ilyas, chef. Et si… »

—« Ta gueule ! Ilyas ou pas, on exécute les ordres. Allez, bouge ! »

Aéfrie écarta les planches, découvrant une salle où quatre hommes s'affairaient autour de caisses marquées de symboles. Sur une table, elle distingua des plaques runiques en métal sombre, gravées de motifs inquiétants. À l'autre bout, un homme trapu, un bandana sur le crâne, serrait une dague à lame noire dont la garde semblait incrustée de pierres rouges. Son visage portait des cicatrices, et ses yeux lançaient des éclairs de colère.

« Qui… ? » lança l'un des sbires en apercevant Aéfrie.

Le chef se retourna brusquement. Un bref silence tomba, chacun jaugeant l'elfe qui venait de faire irruption. Aéfrie prit les devants, levant sa dague ensanglantée :

—« Il est fini, votre petit manège. Rendez-vous ou je vous garantis que cette lame goûtera votre sang. »

Les sbires échangèrent un regard paniqué. Le chef, lui, esquissa un sourire mauvais :

—« Ah, voilà donc la fameuse elfe dont on parle. Tu crois qu'on va se rendre ? Tes tours de passe-passe ne te sauveront pas. »


Aéfrie comprit que la diplomatie n'aurait aucun effet. Trois des hommes bondirent vers elle, armes dégainées. Elle récita une incantation de Lumière, projetant un éclat éblouissant dans la pièce. Les sbires, aveuglés, hurlèrent en se couvrant les yeux. Le chef, moins affecté, tenta de la frapper, mais elle esquiva avec agilité, contre-attaquant d'un revers de dague.

—« On te la fait pas, hein ? » ricana-t-il en reculant. « Je vais te montrer… »

Il brandit alors sa dague à lame noire, la pointant vers Aéfrie. Une aura étrange semblait en émaner, comme si l'arme était imprégnée d'une magie sinistre. L'elfe se raidit, devinant qu'un tel objet n'était pas anodin. Mais avant qu'il ne puisse porter un coup, elle profita de l'aveuglement de ses acolytes pour se fendre et lui planter sa propre lame dans le bras.

—« Rends-toi ! » siffla-t-elle, sa voix teintée de colère.

Le chef, blessé et haletant, lâcha sa dague ensorcelée, qui tomba au sol dans un bruit métallique. Les sbires, se remettant à peine du flash de lumière, levèrent les mains en signe de soumission. L'un d'eux tenta de s'enfuir, mais Matias apparut à la porte, l'épée au clair, l'arrêtant net.

—« Personne ne sort d'ici, » déclara-t-il, le regard dur.


Le combat terminé, Aéfrie et Matias firent mettre à genoux les bandits, leur ordonnant de ne pas bouger. L'elfe ramassa la dague à lame noire, la sentant étrangement lourde dans sa main. Elle la glissa dans sa ceinture, son esprit déjà préoccupé par la magie qui pouvait s'en dégager.

—« Regarde ça, » lança Matias en désignant la table où trônaient des plaques runiques. « Elles portent des inscriptions… On dirait un langage ancien. »

Aéfrie reconnut des runes proches de celles décrites dans les rares documents qu'elle avait déjà vus sur l'Anneau de Fer. Elle examina également des parchemins enroulés, qu'elle déroula pour découvrir des schémas évoquant un rituel complexe. Les mots « Selka », « masque » et « Zadreth » revenaient à plusieurs reprises.

—« Voilà notre lien avec le vieux moulin. Ces plaques semblent forgées pour alimenter un rituel. »

Matias fronça les sourcils :

—« Un rituel ? Tu penses qu'ils cherchent à invoquer d'autres morts-vivants ? »

—« Peut-être pire, » murmura l'elfe, repliant les parchemins. « En tout cas, ils comptent envoyer tout ça à Selka, et Zadreth est mentionné… On tient notre prochaine piste. »


Les sbires, attachés et bâillonnés, furent conduits à l'extérieur, où d'autres gardes alertés par Matias venaient d'arriver en renfort. Le chef blessé, la rage dans le regard, tentait encore de toiser Aéfrie, mais il savait qu'il avait perdu. Elle le força à marcher, l'épée dans le dos, tandis que Matias sécurisait les lieux.

Dans un coin de l'entrepôt, ils trouvèrent également quelques victuailles et des caisses de contrebande, preuve que cette zone de transit servait aux activités illégales de l'Anneau de Fer. Les runes et les documents, eux, étaient la découverte la plus inquiétante : ils confirmaient l'existence d'un rituel en préparation, un plan visant à déstabiliser Valbourg ou plus encore.

Au dehors, la lumière du jour avait gagné en intensité. Les passants, intrigués, commençaient à se rassembler à distance, observant l'arrestation des bandits. Matias ordonna à la foule de reculer, tandis qu'Aéfrie prenait un instant pour souffler, le regard fixé sur la dague noire qu'elle avait récupérée.

« Cet objet… je le sens, il n'est pas normal, » songea-t-elle, son intuition elfique en alerte.


Le retour à la caserne fut mouvementé : Arthol, alerté, vint accueillir Aéfrie et Matias, constatant avec satisfaction que plusieurs complices de l'Anneau de Fer venaient d'être capturés. L'interrogatoire rapide du chef blessé ne livra pas immédiatement de nouveaux secrets, mais le capitaine comprit l'importance des plaques runiques et des documents évoquant Selka et Zadreth.

—« Zadreth… C'est ce vieux hameau en ruines, au nord. J'ai entendu dire qu'il y avait un moulin abandonné, justement. »

—« Il faudra s'y rendre, » répondit Aéfrie. « Mais pas sans préparation. Ces gens préparent un rituel, peut-être en lien avec les morts-vivants qu'on a vus. »

Elle tendit la dague à lame noire à Arthol, qui la manipula avec précaution :

—« Elle a l'air imprégnée de quelque chose. Sois prudente, Aéfrie. »

L'elfe acquiesça, consciente que cette arme pourrait se révéler aussi utile que dangereuse. Elle se promit de l'étudier ou de la faire examiner par un prêtre, quand le temps le permettrait.


Après avoir déposé les bandits en geôle, Aéfrie et Matias purent enfin souffler. La caserne retrouva un semblant de calme, bien que l'effervescence ne soit pas retombée. Les soldats commentaient l'audace de l'elfe, qui avait encore une fois mené une infiltration risquée. Le chef de l'entrepôt gémissait dans sa cellule, la blessure pansée de façon rudimentaire, tandis que ses sbires attendaient leur sort.

Arthol, satisfait, félicita brièvement Aéfrie :

« Tu nous as rendu un fier service. Nous avons désormais la preuve que l'Anneau de Fer est actif au port, et ces runes… par les Immortels, je n'aime pas ça. Continue sur cette voie, et nous pourrons peut-être endiguer la menace avant qu'il ne soit trop tard. L'un d'eux nous a indiqué que Selka aurait une planque dans une demeure à la lisière de la forêt près du marais… »

Aéfrie, encore songeuse, répondit d'une voix mesurée :

« Nous avons frappé un grand coup, mais ce n'est qu'une étape. Selka est toujours dans l'ombre, et ces plaques runiques… Elles serviront à quelque chose de bien plus sinistre, j'en suis certaine. Je vais tenter d'aller voir cette demeure rapidement, avant qu'elle n'apprenne que nous avons trouvé sa cache de transit. »

Matias, à ses côtés, opinait, la fatigue se lisant sur son visage, mais aussi une flamme de détermination. Le vieux moulin de Zadreth revenait sur toutes les lèvres, comme le prochain champ de bataille. L'elfe glissa la dague noire dans sa ceinture, prête à l'étudier ou à s'en servir, selon les nécessités. Elle savait qu'il ne lui restait que peu de temps avant de devoir reprendre la route, car l'ennemi, blessé mais non vaincu, préparait déjà sa riposte dans l'ombre. En attendant, elle allait voir ce qu'il se passait dans cette nouvelle planque identifiée.

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