Chapitre 4 : L’interrogatoire d'Ilyas

21/03/2025

Le jour se levait à peine sur Valbourg lorsque Aéfrie franchit à nouveau les portes de la caserne. L'air frais de l'aube caressait son visage, contrastant avec la tension qui l'habitait. La veille au soir, elle avait livré Ilyas — chef de gang et suspect majeur — aux mains du capitaine Arthol. Malgré sa fatigue, elle n'avait pas trouvé le sommeil : l'image de ces spectres rencontrés au moulin et la capture rocambolesque d'Ilyas hantaient ses pensées. Elle savait qu'un interrogatoire crucial l'attendait.

Alors qu'elle avançait dans la cour pavée, les gardes en faction la saluèrent d'un bref signe de tête, à la fois méfiants et respectueux. Certains avaient déjà entendu parler de l'elfe qui, vêtue d'une simple tenue légère, avait osé affronter un réseau criminel dans les bas-fonds de la ville. Matias, appuyé contre un mur, releva la tête à son approche.

« Tu es déjà debout… Tu n'as donc pas dormi ? » demanda-t-il, le regard soucieux.

Aéfrie hocha la tête sans répondre. Ses yeux verts, encore légèrement cernés, reflétaient la détermination farouche qui l'habitait. Elle portait à nouveau sa cotte de mailles elfique, signe qu'elle se préparait à toute éventualité.

« Arthol m'a fait demander, » dit-elle simplement. « Il souhaite commencer l'interrogatoire dès maintenant. »

Matias la laissa passer, conscient que l'affaire dépassait désormais le simple cadre des patrouilles : Ilyas détenait peut-être les clés d'un mal plus grand.


La caserne de Valbourg n'était pas un palais de justice : c'était un bâtiment robuste, conçu pour héberger la garde et enfermer des criminels de moindre envergure. Au bout d'un couloir étroit, une porte de bois renforcée menait aux geôles. Les torches fixées aux murs diffusaient une lumière vacillante, projetant des ombres dansantes sur la pierre. L'air y était moite, imprégné d'une odeur de paille humide et de sueur.

Arthol attendait déjà, bras croisés, le visage fermé. À ses côtés, deux gardes lourdement armés, l'un tenant un trousseau de clés, l'autre surveillant la porte d'un œil vigilant. Au fond, un geôlier plus âgé griffonnait quelque chose sur un registre. À la vue d'Aéfrie, Arthol esquissa un sourire bref, presque imperceptible.

« Bien. Tu es ponctuelle, comme toujours, » lâcha-t-il, d'une voix basse. « Ilyas a passé la nuit dans la cellule du fond. Il est encore groggy de sa blessure, mais on l'a soigné juste assez pour qu'il puisse parler. »

Un silence pesa. Aéfrie sentit le regard des gardes sur elle, attendant ses instructions ou celles du capitaine. Les souvenirs de la capture lui revinrent en mémoire : la sueur d'Ilyas, son sang coulant sur ses doigts lorsqu'elle l'avait menacé, ses yeux emplis de peur et de défi.

« Commençons, » dit-elle simplement, serrant le pommeau de son épée pour se donner du courage.

Arthol fit signe à l'un des soldats d'ouvrir la porte menant aux cellules. L'obscurité se fit plus dense, ponctuée par les halos tremblotants des torches. Au fond, dans un renfoncement grillagé, on apercevait la silhouette d'Ilyas, recroquevillé sur un banc de pierre.


La cellule était spartiate : un sol de pierre, une paillasse élimée, et une lanterne suspendue à un crochet. Ilyas, torse nu, la blessure pansée par un bandage sommaire, redressa la tête en entendant les pas. Ses yeux sombres croisèrent ceux d'Aéfrie, et un rictus amer étira ses lèvres.

« Toi… » souffla-t-il. « Je me doutais que tu reviendrais. »

Aéfrie s'approcha des barreaux, Arthol à ses côtés. Un silence lourd s'installa, seulement brisé par le grincement du métal lorsque l'un des gardes déverrouilla la grille. Ils entrèrent dans la cellule, un soldat restant dans l'encadrement, l'arme au poing.

Ilyas, la respiration sifflante, détailla l'elfe de bas en haut, comme s'il cherchait encore un moyen de la déstabiliser. Elle, impassible, se tenait droite, son visage gardant un masque de calme glacial.

« Dis-moi, Ilyas, » commença-t-elle d'une voix posée, « pourquoi as-tu mêlé des morts-vivants à tes affaires ? Qu'est-ce qui se trame au vieux moulin ? »

Le prisonnier émit un ricanement qui se mua en un spasme de douleur. Arthol croisa les bras, fixant Ilyas d'un air sévère :

« Tu ferais mieux de répondre. Aéfrie n'est pas la seule à vouloir des réponses. Moi, je peux te promettre une exécution rapide ou une mort lente. »

Ilyas releva un sourcil, esquissant un demi-sourire ironique :

« Des menaces… encore. Je suis déjà mort, non ? Pourquoi devrais-je parler ? »


La tension monta d'un cran. Aéfrie sentait que la simple intimidation ne suffirait pas. Ilyas était un homme rompu aux négociations de bas étage, aux coups tordus. Pourtant, un frisson de peur transparaissait dans ses yeux chaque fois qu'il posait le regard sur l'elfe. Il se souvenait de la lame sous sa gorge, de cette soirée où elle avait brisé sa résistance d'un simple éclair de magie.

« Peut-être que la mort est inévitable pour toi, » dit-elle en s'approchant lentement. « Mais il y a des morts plus douloureuses que d'autres. Et si tu préfères encore être déchiré par un spectre, libre à toi. »

Elle laissa planer un silence, puis ajouta d'une voix plus basse :

« Si tu parles, je peux te donner une chance. Loin d'ici. Peut-être que l'Anneau de Fer t'a déjà condamné… ou peut-être qu'il y a un moyen de négocier. »

Un bref éclat de terreur traversa le regard d'Ilyas. Il connaissait la cruauté de l'Anneau, et savait que s'il était considéré comme un traître, sa fin serait atroce. Pourtant, son orgueil le poussait à résister. Arthol, d'un geste brusque, agrippa le bandage sur son flanc, faisant grimacer le prisonnier.

« Assez de jeux. Parle. Quel lien as-tu avec ces spectres ? Qui t'a envoyé ? »

Ilyas se tortilla pour se dégager, serrant les dents, puis cracha un peu de sang :

« Ce n'est pas moi qui invoque ces créatures… C'est un autre. Une mage, une du culte. L'Anneau de Fer, c'est plus gros que vous ne l'imaginez. Je ne suis qu'un pion. »

Aéfrie échangea un regard avec Arthol. Ils comprenaient que le prisonnier essayait de minimiser son rôle, de se faire passer pour un sous-fifre.


Au fil des questions, Ilyas lâcha quelques noms, de façon hachée. Il mentionna Selka, une mage affiliée à l'Anneau, des enlèvements pratiqués pour des rituels, et un certain "La Voix" qui donnait les ordres depuis l'ombre. Il parla aussi d'un masque convoité, d'un plan visant à réveiller une force sombre.

« L'Anneau de Fer veut des sacrifices, » marmonna-t-il. « Ils ont besoin d'âmes pour… un rituel. Moi, je gère les enlèvements, je fais circuler les marchandises. Je ne suis pas un sorcier. »

Arthol se redressa, la mâchoire crispée. Il connaissait déjà certaines bribes de cette histoire, mais l'entendre de la bouche d'Ilyas rendait les faits plus sinistres encore. Aéfrie, elle, ressentait un mélange de colère et de curiosité : comment un homme comme Ilyas avait-il pu tomber si bas ?

« Les morts-vivants… c'est l'œuvre de cette Selka ? Ou d'autres mages ? » insista-t-elle.

Ilyas eut un rire amer :

« Selka… oui, peut-être. Ou un autre. Je ne suis pas leur confident. Je sais juste qu'ils font danser des cadavres pour semer la peur. Que les gens fuient ou disparaissent, ça les arrange. La ville est plus vulnérable quand elle est terrifiée. »

Un long frisson parcourut Aéfrie. L'Anneau de Fer ne se contentait pas de voler ou d'enlever : il jouait avec des forces occultes, déployant des morts-vivants pour paralyser la population. Valbourg n'était que le début, peut-être.


Le temps s'étira. Les menaces, les injonctions, les rares confidences d'Ilyas. Aéfrie gardait un visage neutre, mais son esprit bouillonnait. Elle se souvenait de la longévité elfique qui lui permettait d'appréhender le temps différemment : pour elle, quelques années n'étaient rien. Mais pour les humains, chaque jour était précieux. Elle voyait en Matias cette fougue de la jeunesse, prête à s'embraser pour défendre la cité. Et voilà que face à elle, un autre humain, corrompu, n'hésitait pas à sacrifier des innocents pour le profit.

« Comment peut-on sombrer ainsi ? » songea-t-elle, sentant la rage monter.

Elle se rappela les spectres du moulin, la peur dans les yeux des gardes, et l'homme qui s'était effondré sous leurs attaques. Pour elle, la mort n'était pas un simple événement : elle était un déchirement, un tabou. Les elfes vivaient longtemps, et voyaient la fin comme une transition naturelle, pas comme une arme à brandir contre des victimes innocentes.

« Je ne te laisserai pas détruire plus de vies, Ilyas, » murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour lui.


Arthol, voyant que le prisonnier commençait à faiblir, fit signe à un garde de lui apporter de l'eau. Ilyas but à petites gorgées, fixant Aéfrie d'un regard plus las que défiant. Il savait que la partie était perdue, mais cherchait encore à négocier un sursis.

« Écoute, elfe… Je peux te dire où se cache Selka, je peux te livrer les noms de mes complices. Mais il me faut une garantie : je veux sortir d'ici vivant. Et partir loin, très loin. »

Arthol fronça les sourcils, prêt à refuser. Mais Aéfrie leva la main pour l'arrêter. Elle comprenait que la peur de l'Anneau de Fer pouvait être un levier. Si Ilyas craignait plus ses maîtres que la garde, il ne parlerait pas. Il fallait inverser la balance.

« Si tu coopères, je peux te donner une chance. L'Anneau te traquera, mais si tu nous aides à le détruire, tu pourras peut-être fuir. Je peux t'emmener loin... vers les royaumes pirates du Ierendi.  »

La voix de l'elfe était calme, mais sa dague toujours à sa ceinture rappelait la menace qu'elle représentait. Ilyas, la mâchoire serrée, sembla peser le pour et le contre.

« Selka… est la plus proche de ce rituel. Elle est dans un sous-sol près du port, ou peut-être qu'elle a déjà bougé. Ils veulent un masque, un troisième, je crois. Pour l'Ombre Véritable. Je ne sais pas tout. Mais je peux te guider… si tu me laisses vivre. »

Aéfrie et Arthol échangèrent un regard. L'un des gardes émit un sifflement de mépris, mais se tut aussitôt.


Le capitaine fit signe à ses hommes de sortir, laissant Aéfrie et lui seuls avec Ilyas. Il se pencha vers le prisonnier, les poings serrés :

« Tu vas tout nous dire. Si tu mens, l'elfe t'ouvrira la gorge. Si tu nous mènes à un piège, tu finiras écartelé. Mais si tu coopères, on verra. C'est ta dernière chance. »

Ilyas acquiesça, tremblant. Il comprenait qu'il n'avait plus d'issue. Mieux valait parler que subir la vengeance de l'Anneau de Fer et la colère d'Aéfrie. Il dévoila alors l'emplacement supposé de Selka, l'existence de réseaux souterrains sous certains entrepôts, et la mention de plusieurs masques dont deux seraient déjà détenus par des factions plus puissantes.

Quand il eut fini, Arthol se redressa, l'air sombre. Il fit signe à un garde de rattacher solidement Ilyas, et jeta un regard à Aéfrie.

« On en sait assez pour agir. J'espère qu'il ne nous a pas menti. »

« S'il l'a fait, je m'occuperai de lui personnellement, » répondit-elle d'une voix tranchante.

La porte de la cellule se referma sur un Ilyas épuisé, la tête basse. Aéfrie et Arthol ressortirent dans le couloir, la tension pesant encore dans l'air.

Matias les attendait, l'inquiétude peinte sur son visage. Lorsqu'il vit l'elfe, il s'approcha :

« Alors ? Que t'a-t-il dit ? »

Aéfrie passa une main dans ses cheveux argentés, soupirant :

« Assez pour comprendre que l'Anneau de Fer est plus dangereux que nous le pensions. Selka semble être la clé pour ces morts-vivants… ou au moins une étape. »

Arthol, les bras croisés, opinait en silence. Déjà, il songeait à mobiliser des soldats fiables, voire à demander l'aide du baron Sherlane ou des prêtres du temple. Mais il savait que le temps jouait contre eux : l'Anneau pouvait se replier, Selka pouvait fuir, et les spectres pouvaient se multiplier.


En sortant de la caserne, Aéfrie sentit la lumière du jour caresser sa peau, dissipant un peu de l'angoisse accumulée dans les geôles humides. Ses sens elfiques aspiraient à un bol d'air frais, à la vue d'arbres et de ciel dégagé. Elle prit une longue inspiration, ferma les yeux un instant.

Elle se revit, quelques jours plus tôt, entrant à Valbourg, animée d'une simple volonté de protéger des innocents. Désormais, elle était mêlée à un complot sombre, des spectres, des sacrifices… Son cœur se serra, mais elle sut qu'elle ne faillirait pas. Sa longue existence lui avait appris la patience, et son âme de guerrière l'incitait à aller de l'avant.

Matias la rejoignit, l'air soulagé de la voir indemne.

« Arthol va vouloir qu'on monte une expédition pour trouver cette Selka, non ? » demanda-t-il.

Aéfrie hocha la tête, esquissant un léger sourire :

« Oui, et nous serons en première ligne. Autant se préparer. »

Son regard glissa sur la foule qui commençait à emplir les rues, ignorante du danger qui rôdait. Elle se promit de faire tout ce qui était en son pouvoir pour protéger ces gens. Car, au-delà des interrogatoires et des menaces, c'était la vie de toute une cité qui se jouait dans l'ombre.

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