Chapitre 1 : L’engagement

La lumière mourante du jour s'étirait sur les murs de Valbourg, un bourg solide mais modeste, bâti au bord de la rivière Wufwolde. À cette heure crépusculaire, l'agitation des marchands et des voyageurs se mêlait aux patrouilles de la garde, dont les bottes résonnaient sur les pavés humides. Les maisons de pierre sombre et de bois se serraient autour d'une place centrale où s'élevait la silhouette carrée d'une caserne, rehaussée du drapeau de Karameikos. De loin, on percevait déjà les échos d'une ville en pleine effervescence, car Valbourg servait de passage obligé pour quiconque souhaitait s'aventurer vers le nord sauvage.
Dans la pénombre, Aéfrie observait la cité depuis un promontoire, sa silhouette élancée se découpant sur un ciel violacé. Vêtue d'une cotte de mailles elfique, luisante sous les derniers rayons du soleil, elle s'avança avec l'aisance propre à son peuple. Ses cheveux argentés effleuraient la base de ses épaules, et son regard, d'un vert profond, balayait les environs avec une curiosité teintée de prudence. Elle venait d'achever un long voyage depuis les forêts du clan Calarii, quittant la canopée protectrice pour répondre à l'appel à l'aide de Valbourg.
« Il est temps, » murmura-t-elle pour elle-même, le cœur battant d'excitation à l'idée d'une nouvelle aventure.
Elle descendit le sentier menant à la porte principale de la ville. Deux gardes la toisaient, méfiants envers les étrangers, mais l'un d'eux, reconnaissant les traits elfiques, inclina légèrement la tête. Les rumeurs couraient déjà : Valbourg connaissait des disparitions inexpliquées et recherchait des volontaires pour enquêter. La réputation d'Aéfrie comme aventurière habile et magicienne elfe avait devancé son arrivée.
Elle se fraya un chemin à travers les ruelles pavées, s'arrêtant parfois pour observer une échoppe de cuir, un étal de légumes ou un petit attroupement de gens discutant à voix basse. Une taverne, l'Ogre Jongleur, attira son attention par son enseigne de bois représentant un ogre jonglant avec des tonneaux. La porte s'ouvrait et se refermait sans cesse, laissant s'échapper un brouhaha de conversations et d'odeurs de ragoût épicé.
À l'intérieur, la salle était pleine de fumée et de murmures. Des aventuriers en quête d'or et de gloire côtoyaient des paysans venus oublier leurs soucis autour d'une chope de bière. Willington Stough, l'aubergiste à la jambe raide, reconnut en Aéfrie l'allure d'une combattante et l'accueillit d'un hochement de tête.
« Une chambre pour la nuit ? Ou un simple repas ? » demanda-t-il d'un ton bourru.
« Les deux, s'il reste de la place, » répondit-elle, esquissant un sourire.
Autour d'eux, quelques visages se tournèrent, intrigués par la présence d'une elfe en cotte de mailles. Aéfrie paya sa chambre, posa ses affaires dans un coin de l'étroit réduit qu'on lui attribua, puis redescendit pour s'asseoir à une table libre. Elle espérait glaner quelques informations avant d'aller rencontrer le capitaine Arthol.
Les rumeurs qu'elle surprit confirmèrent ce qu'elle redoutait : des disparitions aux abords de la rivière et de la route secondaire, des fermiers ayant trouvé des traces inexplicables, des voyageurs n'ayant jamais atteint leur destination. La garde de Valbourg se montrait active, mais semblait dépassée. On parlait aussi d'un certain Ilyas, d'esclavagistes, de cultes, et de mystères profonds.
Willington revint lui porter un bol de ragoût fumant.
« Si vous comptez vous mêler de ces histoires, allez voir le capitaine Arthol. Il recrute des gens comme vous, » dit-il, en posant le bol devant elle.
« C'est prévu. Merci du conseil, » répondit-elle, soufflant sur la vapeur du plat.
Elle dîna en silence, observant l'assemblée d'un œil exercé. Certains clients évitaient son regard, d'autres la dévisageaient comme si elle incarnait un espoir inespéré. Lorsque la fatigue la gagna, elle remonta se coucher, le corps endolori par la route, mais l'esprit en éveil.
Le lendemain matin, Aéfrie se présenta aux portes de la caserne. Les soldats, un peu méfiants, l'introduisirent dans un bureau sobre où l'attendait un homme d'âge mûr, la mâchoire carrée, portant l'uniforme de la garde : le capitaine Arthol. Il lui jeta un regard évaluateur, puis l'invita à prendre place.
« Vous devez être Aéfrie, l'elfe dont on m'a parlé. Les disparitions ne sont plus de simples rumeurs, elles menacent la ville tout entière. Aidez-nous et vous serez payée. »
Elle hocha la tête. L'or l'intéressait moins que l'idée de faire reculer le mal. Arthol expliqua brièvement la situation : plusieurs individus, dont certains de la garde, avaient disparu sans laisser de traces, et les rares indices pointaient vers une organisation criminelle.
« Je ne veux pas vous envoyer seule. Matias, l'un de mes hommes, peut vous accompagner, » ajouta-t-il.
Matias, un jeune soldat au regard franc, entra et salua d'un geste militaire. Sa tenue simple, son épée à la ceinture et son bouclier en bandoulière témoignaient d'une certaine rigueur. Il détailla Aéfrie d'un coup d'œil respectueux.
« J'vous suivrai, dame elfe, où que vous alliez. Le capitaine m'a déjà parlé de vos compétences, » dit-il, avec un léger sourire.
Arthol passa en revue les rares informations dont il disposait : des pistes menant à des entrepôts louches, des fermiers affirmant avoir vu des ombres rôder la nuit, et un nom revenant à demi-mot : l'Anneau de Fer.
« Si c'est bien eux, nous sommes face à un réseau plus dangereux qu'une simple bande de brigands. Mais je ne veux pas accuser sans preuve. »
Aéfrie se leva, la mine décidée.
« Très bien. Donnez-moi un jour pour repérer les lieux. Matias, tu seras mes yeux et mes oreilles en ville. Demain, à l'aube, nous partirons sur la piste des disparitions. »
Arthol acquiesça, soulagé de voir quelqu'un prendre les devants. Aéfrie salua et quitta la caserne, Matias sur ses talons.
Elle passa le reste de la journée à écouter les murmures du peuple de Valbourg, glanant çà et là des détails sur de sombres affaires de contrebande et d'enlèvements. Certains marchands la craignaient, d'autres la suppliaient d'agir. Willington, à l'Ogre Jongleur, l'encouragea à être prudente :
« Ces gens-là ne reculent devant rien. On raconte qu'ils ont des mages dans leurs rangs… »
Aéfrie demeura inflexible, l'éclat déterminé dans ses yeux verts révélant son désir d'en découdre. Au crépuscule, elle rejoignit Matias pour peaufiner leur plan. Les bruits de la ville s'éteignirent peu à peu, remplacés par le bruissement du vent sur la rivière.
La nuit fut courte, traversée de rêves confus où se mêlaient les forêts elfiques et les ruelles sombres de Valbourg. Au matin, une brume s'étira sur la cité, voilant les toits et les rues d'un voile laiteux.
Aéfrie, prête à partir, retrouva Matias près de la porte est. Son arc était solidement arrimé à son dos, son épée battait doucement sa hanche, et son regard, serein, se portait déjà vers l'inconnu. Le jeune soldat, silencieux, laissa échapper un bref sourire en la voyant s'approcher.
« Tout est prêt, » dit-il simplement.
Elle hocha la tête, jeta un dernier coup d'œil aux remparts et s'engagea sur la route, la brume avalant bientôt leurs silhouettes. Ainsi commença l'engagement d'Aéfrie dans la quête de vérité et de justice, ignorant encore que ce chemin la mènerait à affronter des forces bien plus sombres qu'elle ne l'imaginait.